« C’est de l’amour mes frĂšres, c’est de l’amour mes sƓurs – et on en a bien besoin de ce moment », scandent les Odezenne avant d’entamer « Je veux te baiser » samedi, Ă  Dour. L’ambiance est incroyable : des poupĂ©es gonflables dansent dans les airs, deux garçons se sont fabriquĂ©s un bonnet avec des pastĂšques, d’autres sont travestis, et tout le monde reprend en choeur les paroles de la chanson… Le portrait exacerbĂ© d’une jeunesse, libre et heureuse, qui emmerde ce qui se passe « en ce moment », les Ă©vĂ©nements de la veille dont personne ne parle au festival. L’organisation a publiĂ© un Ă©mouvant Ă©dito sur l’un des programmes, Ă©videmment. Mais Ă  part cette allusion d’Odezenne, on a rien entendu du cĂŽtĂ© des artistes ni du public. Alors bien sĂ»r, on n’a pas vu tous les concerts (280!) ni Ă©coutĂ© les conversations de tous les festivaliers (235.000!). Mais l’horreur, on la laisse pour lundi. Hors de question que la France et la Belgique ne partagent que l’horrible point commun d’ĂȘtre en deuil : il y aura aussi celui de produire de solides festivaliers, prĂȘts Ă  braver vents et marĂ©es (ok, sable et coups de soleil) pour assister Ă  quelques uns des meilleurs concerts de la saison. C’est ce qu’on a fait vendredi et samedi.

Crédit photo : Clémence Meunier

Deux jours de Dour (et encore, on est petits joueurs, certains restent du mercredi au dimanche), c’est ainsi des dizaines de kilomĂštres parcourus, un sandwich au boudin absolument effrayant, quelques litres de biĂšres renversĂ©es, une dizaine de « Dourrééééééé » criĂ©s, une voix cassĂ©e et, dans ce cas bien prĂ©cis, dix coups de cƓur. Jeanne Added d’abord, pour nous le tout premier concert du week-end. Quel accueil : voix incroyable, yeux plantĂ©s bien droits dans ceux du public, charisme Ă  toute Ă©preuve et live bien rodĂ©, que demande le peuple ? On la recroisera un peu plus tard, dansant devant le concert de Peaches, notre deuxiĂšme coup de cƓur douresque. Mais est-ce vraiment sage d’utiliser le mot « concert » pour qualifier ce freak-show gĂ©nial, entre spectacle de cirque, performance et discours engagĂ© ? Peu importe, ce sera le moment le plus jouissif du festival, le plus festif aussi. On y retrouve les deux danseurs du clip « Vaginoplasty », dĂ©guisĂ©s en sexes fĂ©minins, en string Ă  paillettes, avec ou sans corne de licorne, magnifiquement grotesques. Peaches chante en faisant le grand Ă©cart, enchaĂźne les costumes ou fait pĂ©ter le champagne ; c’est franchement drĂŽle et malin.


Crédit photo : Nicolas Debacker

Complet changement d’ambiance avec Stuff, jouant sous le chapiteau Le Laboratoire dĂ©diĂ© ce jour-lĂ  aux artistes belges. ArmĂ©s d’un piano Ă  vent (aka melodica), nos cinq Gantois naviguent entre jazz et Ă©lectronique, prennent des risques, expĂ©rimentent, mettent en avant une basse funky… Avec, Ă  la clĂ©, le sentiment d’Ă©couter un son unique. Le Labo a aussi accueilli un super concert de Samba De La Muerte le lendemain, malheureusement Ă  l’ambiance pas franchement explosive. Le groupe n’y est pour rien contrairement Ă  la chaleur Ă©touffante qui rĂšgne sous le chapiteau – seul moyen de survivre: se rafraĂźchir sous la fontaine installĂ©e Ă  l’entrĂ©e de la grotte des Salut C’est Cool, jouant chaque jour en dĂ©but d’aprĂšs-midi avec des spectateurs pas trĂšs frais dansant avec des branches d’arbre. Samba De La Muerte, promis, on ramĂšne de gros ventilos la prochaine fois.

On est pas les seuls Ă  avoir eu chaud : Jay Prince a tenu Ă  garder son gros sweat Ă  capuche sur scĂšne. Ca n’a pas empĂȘcher le prodige rappeur de l’est Londonien de s’imposer comme une des plus belles dĂ©couvertes du festival, ou quand le hip-hop est classe et sans esbroufe, avec un flow rapide et prĂ©cis. 22 ans Ă  peine et Ă  surveiller de trĂšs prĂšs – notre cinquiĂšme coup de cƓur si vous suivez bien.

Crédit photo : Laurence Guenoun

Du hip-hop, du rock, une performance clownesque, de la pop, du jazz refaçonnĂ©… Et l’Ă©lectronique dans tout ça ? Dour n’a Ă©videmment pas Ă©tĂ© avare en beau nom pour la nuit, avec en tĂȘte un Marek Hemmann en live et en forme olympique. A croire qu’il pourrait remixer le bottin et faire tout de mĂȘme danser un chapiteau entier. Live toujours avec Richie Hawtin et Pantha Du Prince venus tous deux prĂ©senter leurs nouveaux shows : chez le premier on voit en direct ce que fait le producteur sur ses machines pour un set-up original, et chez le second l’onirisme prend (un peu trop peut-ĂȘtre) le dessus sur l’installation – un tout petit Ă©cran sur lequel on ne voit pas grand chose. Mais le meilleur live, celui qui installe un parfait Ă©quilibre entre beautĂ© visuelle et musique, celui qui fout la chair de poule et demande un peu de temps pour s’en remettre… Il n’est ni rock, ni hip-hop, ni Ă©lectronique : il s’agit des incantations chantĂ©es en islandais par Sigur Ros qui rĂ©sonnent depuis la scĂšne The Last Arena, au coucher du soleil. Le son est clair, les images sublimes (animations en 3D oĂč l’on devine le groupe au milieu d’un paysage apocalyptique, effets appliquĂ©s aux captations en direct, couleurs magnifiques…), Jonsi Birgisson joue toujours de la guitare avec un archet de violoncelle tandis que Goggi Holm s’amuse parfois Ă  maltraiter sa basse avec une baguette de batterie. Et lĂ , quand la beautĂ© de Sigur Ros frappe un grand coup, difficile de rĂ©sister Ă  un petit pincement au cƓur : lundi, il va falloir retourner Ă  Paris, Ă  Nice ou Ă  Bruxelles, rouvrir les journaux et les yeux. Mais pas tout de suite. Alors en attendant, Ă  la fin du concert, on gueule : Dourééééééé.

Crédit photo : Romain S. Donadio

Meilleur moment : La navette du retour samedi soir, meilleur chauffeur ever.

Pire moment : Les repas. La gastronomie n’est pas vraiment le fort de Dour, Ă  part si vous aimez vraiment (mais alors vraiment) les frites et les trucs gras.

NB : Tsugi apporte toutes ses condolĂ©ances Ă  la famille du jeune Français dĂ©cĂ©dĂ© d’overdose en marge du festival ce week-end.